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Flèche Paris-Bordeaux

12-13 mai 2012

par Thierry Streiff
http://abeille-cyclotourisme.fr/souvenirs/2012_paris_bordeaux.html

Les prévisions météo sont enfin bonnes pour tout un week-end.

En discutant lors de randonnées, j'ai entendu parler du Bordeaux-Paris randonneur, dont la dernière édition a eu lieu en 2010. Mon objectif est de le faire dans l'autre sens, dans un temps similaire à celui octroyé aux randonneurs (36 heures).

Paris "Le Pied de Cochon", 6h00

J'apparais à peine à la porte qu'un monsieur armé du tampon arrive ! J'échange quelques phrases avec lui et je me sauve.

Je traverse Paris jusqu'à la porte de Versailles, puis c'est l'échauffement : la montée de Meudon vers Vélizy, la descente et remontée de la vallée de la Bièvre, la descente et remontée de vallée de Chevreuse. À Bullion, le relief se termine, je suis dans la Beauce pour un moment.

Je décide de naviguer avec juste la feuille de route et les cartes, en coupant le GPS. Ça me changera et je vois mieux ma progression sur les cartes.

Sur les longues distances, j'emmène toujours avec moi les cartes au 1/200000e (1 cm = 2 km). J'arrache les pages nécessaires d'un atlas routier : il ne faut que 5 à 6 feuilles pour une flèche comme celle-ci (50 grammes). C'est beaucoup plus facile à manipuler que des cartes et comme on plie tout le paquet d'un coup, ça ne se déchire pas.
Cette échelle donne beaucoup de détails, notamment les très petites routes, et on peut même repérer si le parcours croise un cimetière.

Dans une forêt, je vois qu'il y a beaucoup de muguet en fleur le long de la route. La recherche du muguet fleuri dans la forêt est une tradition qui se perd : il est plus facile (et certes moins aléatoire) de donner quelques euros à la fleuriste. Et les automobilistes pressés passent beaucoup trop rapidement pour remarquer les brins porte-bonheur.

Saint-Arnoult-en-Yvelines, 60 km, 8h30

Je pointe à la boulangerie et achète de quoi manger pour le midi.
Ce bourg est connu à cause du péage sur les autoroutes A10 et A11.
Pour aller à Bordeaux en voiture, il en coûte 77 EUR d'essence et 53 EUR de péage et il faut environ 5 heures 30. Il me faudra 6 fois plus de temps, mais beaucoup moins d'argent.

Je roule dans la Beauce, au milieu des champs de colza. Par moment, de gros oiseaux s'envolent à mon passage : de nombreux faisans et quelques perdrix cachés dans les hautes tiges.

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Entre deux murs de colza
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Le château de Cambray

Une brise fraîche du nord-est me pousse dans la bonne direction, c'est idéal. Mais c'est aussi calculé : si du vent d'ouest avait été prévu, j'aurais fait une flèche vers l'est...

A Mondonville-Sainte-Barbe, la route à prendre est décorée d'un panneau "voie sans issue". Vérification sur la carte, c'est bien la bonne.
Je demande aux riverains qui m'indiquent que cette route a été coupée il y a un an suite à la déviation d'Ymonville. Ils m'affirment que la route finit dans un champ. Je fais donc un petit détour pour aller à Ymonville. Plus tard à la maison, je verrai que l'ACP a corrigé la feuille de route en février 2012. Comme j'ai demandé la mienne fin 2011, j'ai encore l'ancienne. Leçon à tirer : quand on a une feuille de route un peu ancienne, avant de partir, vérifier sur le site de l'ACP si la feuille n'a pas bougé.
A noter que le parcours GPS est bien à jour, mais j'étais dans un jour sans (GPS).

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Les nouvelles forêts de la Beauce

A la sortie de Péronville, j'aperçois un cyclo arrêté avec un blouson fluo caractéristique. Je m'apprête à le saluer en m'approchant quand je réalise que c'est Bernard de l'Abeille ! Bernard fait la flèche Paris-Bordeaux par étapes, il est parti la veille de Paris et sa prochaine étape est Marchenoir. Il est du même club que moi, il fait la même flèche que moi, et le même jour que moi. Et on ne s'est pas concerté. Je me promets en rentrant, de relire Koestler (Les racines du hasard).

En attendant, je pique-nique en discutant avec Bernard. Puis je repars sans traîner, il me reste 490 km à faire.

Marchenoir, 169 km, 14h15

J'avise un bar qui me permettra de pointer et de boire un rapide café.
Les essais d'un Grand Prix de Formule 1 à la télévision hypnotisent tous les gens présents dans l'établissement. La patronne se lève pour me servir sans quitter la télévision des yeux, résultat : un tampon à l'envers sur ma carte de route. J'ai la chance que la tasse soit elle, à l'endroit, ce qui me permet de profiter du café...

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Les futreaux à Chaumont-sur-Loire

Je traverse la Loire à Chaumont-sur-Loire. Je veux prendre une photo du château mais il est à contre jour et il faut faire un grand détour pour avoir un angle favorable. Je décide de prendre la flottille de bateaux néo-traditionnels présents pour promener le touriste.

Je repars, ça monte de suite après la Loire. Je réalise que c'est la première vraie côte depuis la sortie de la vallée de Chevreuse, 180 km plus tôt. Et en effet à part les vallées parisiennes bien connues (Bièvre, Chevreuse), tout le dénivelé de cette flèche se trouve au sud de la Loire.

J'arrive au bord du Cher à Cissay-en-Touraine, il faut pointer. La boulangerie est fermée le samedi après-midi (et le dimanche !). Il y a un restaurant mais la personne que je vois bougonne qu'elle n'a pas de tampon. Un passant me dit que je peux essayer au château en me montrant le chemin.

Le "château" est un hôtel 4 étoiles et se trouve en haut d'une côte : ce sera en dernière extrémité. Je refais un petit tour et finit par pointer chez "L'Amélie Mélo", sympathique coiffeuse de son état (sur la rue qui va à la gare).

La route longe ensuite la rive droite du Cher pendant quelques kilomètres avant de le traverser à Chisseaux. Aller à Chenonceaux serait bien : cela ferait une jolie photo et je n'ai pas le BCN de l'Indre-et-Loire. Mais il y a beaucoup de voitures, c'est désagréable, je renonce : c'est le week-end, il fait très beau, je fais du vélo, c'est l'aventure, je ne vais pas gâcher ça pour un coup de tampon.

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L'église de Ligueil au soleil couchant

Je commence à penser à dîner avant la nuit. Il y une pasteria sur la place de l'église de Ligueil, ça fera l'affaire.

Un verre à la main, je proclame solennellement que j'ai fait la moitié du parcours (c'est un peu moins mais cela me semble le bon moment).

La moyenne jusque là est très bonne, mais la Beauce est un terrain bien plus facile que les côtes de Charente et du Bordelais et bien sûr la fatigue s'accumule.

En repartant je m'habille plus chaudement, j'enfile mon pyjama jaune en prévision de la nuit et je continue ma descente vers le sud. A Barrou, je rejoins la vallée de la Creuse que je commence à remonter. Je suis parti pour un passage en revue des principales rivières du bassin de la Vienne.

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La Roche-Posay by night

Allumage des feux, c'est ma deuxième nuit avec le moyeu dynamo et j'apprécie vraiment la puissance de l'éclairage.
Les premières fois, quand on voit le reflet des panneaux routiers, on se retourne en pensant qu'une voiture va nous dépasser. J'allume aussi le GPS, la nuit, les erreurs sont faciles.

À la Roche-Posay, il fait déjà bien noir, les rues sont étroites et il y a des sens interdits partout. Je commence à remonter l'Anglin, affluent de la Creuse.

Angles-sur-l'Anglin (BPF), 335 km, 22h55

Je me souvenais que ce village était petit et escarpé.
J'ai un peu de mal à trouver la boite aux lettres (à côté du commerce qui fait point Poste). A 23h juste, tout le bourg s'éteint.
Je longe les murailles en ruines que je devine dans la pénombre.
Après la traversée de l'Anglin, la côte pour sortir de la vallée fait mal aux jambes.

Je remonte maintenant la Gartempe, un autre affluent de la Creuse, que je traverse à Saint-Savin. Là encore tout est sombre, ce qui est dommage car les reflets de l'ancienne abbaye illuminée sur l'eau de la rivière doivent faire une jolie composition.

Je suis à la latitude de Poitiers.

Alors que les étapes de la feuille de route étaient jusque là espacées de quelques kilomètres, il y 24 km sans traversée de bourg jusqu'à Lussac-les-Châteaux (BPF) puis encore 21 km jusqu'à L'Isle-Jourdain en remontant la Vienne.
Peu à voir, peu de bruit... le marchand de sable en profite pour s'inviter, timidement au début mais il insiste. Il faut que je m'arrête, mais je ne vois rien d'accueillant. Tant pis, je m'arrête 30 minutes contre un poteau en béton à proximité d'un circuit automobile.
Au fond des petits vallons que la route coupe il fait très froid. Le GPS m'indique 5°C. Heureusement, il faut remonter de l'autre côté : ça réchauffe.

Champagne-Mouton, 435 km, 5h30

J'entre dans la Charente, je réalise que j'ai mis 6h30 pour faire les derniers 100 km ! Pas très bon pour le moral... La faute au sommeil, à ma petite pause et au fait que le parcours est devenu vallonné : de nombreuses petites vallées avec descente, pont, et remontée de l'autre côté. Je trouve de suite la Poste pour pointer avec une carte postale et je continue. Le jour pointe à l'est, le ciel est sans nuage : une belle journée s'annonce.
Je vois les premières maisons à toit en tuile canal, on dirait le sud...

À Sireuil, la route est annoncée barrée. Il y a une déviation qui part à droite et ça monte fort, mais il est impossible de savoir si ça ne fait pas un détour de 10 km.
Je force le passage, je préfère marcher 300 mètres en poussant le vélo que faire un grand tour. En fait, il n'y a plus de revêtement sur la route dans Sireuil, mais les trottoirs font l'affaire. Je passe la Charente.

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Église de Saint-Amant-de-Boixe

À Saint-Amant-de-Boixe, une barrière et deux hommes me barrent la route. Une course cycliste a lieu aujourd'hui alors on ne passe pas ! Je leur demande à quelle heure est la course : "10 heures 30", je leur fait remarquer qu'il est 8 heures et que je serai passé depuis longtemps. Après réflexion, ils me laissent passer. Je profite de leur temps de réflexion pour prendre l'église en photo.

J'attaque la partie la plus dure du parcours. Je suis rentré dans les côtes de Charente, pays de vignobles.
La route est assez droite mais monte et descend sans cesse et les montées sont des rampes raides à 6/7%. Même si la vue est jolie, ce n'est pas rapide et c'est usant. Je croise de nombreux cyclos du dimanche matin : Angoulême n'est pas loin.

Blanzac, 514 km, 10h30

J'arrive dans ce gros bourg (son nom complet est Blanzac-Porcheresse) après une longue descente. J'ai décidé d'attendre ce pointage pour le petit déjeuner mais comme ma moyenne n'est pas très élevée, il est déjà tard. Je ne me sens pas très bien, et l'idée même d'une viennoiserie ou d'un café m'écoeure. J'ai un dégoût du sucré...
Je descends au petit supermarché et je pioche dans les rayons des aliments qui me font envie. Je déjeune sur un coin d'herbe sur le parking : des tomates, du yaourt à boire, de l'eau gazeuse, retour à une alimentation plus saine, mais pas très énergétique ! Ça va mieux, je remonte sur le vélo et commence à monter une belle côte, quand en voyant le panneau de sortie du bourg, je réalise que j'ai oublié de pointer. J'y retourne faire mon devoir...

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Guitres au bord de l'Isle

Après Blanzac, les vignes continuent avec le même type de relief usant par sa répétition. Avant Chalais ça se calme un peu : la route quitte les vignes et longe une petite rivière. Je vois le château de Chalais sur son éperon. Juste après, j'entre en Charente Maritime. La transition est assez saisissante : de suite, des forêts de pins et ça sent la résine chaude : ça sent le "sud". Par contre, c'est toujours bien ondulé.

À Guitres, je rejoins le bassin de la Garonne. Je suis sur la D674 et il y a beaucoup de voitures. Par contre, c'est roulant jusqu'à Libourne (Dordogne).

Libourne, 591 km, 15h45

Trouver un endroit pour pointer un dimanche après-midi n'est pas toujours facile (j'essaie d'éviter les flèches le dimanche pour cette raison), je tourne un peu dans la ville mais tout semble fermé. C'est quand même étonnant, c'est une grosse agglomération. Je demande à un jeune qui m'indique qu'il faut sortir de la vieille ville et aller vers le lycée. Je pointe dans une brasserie et j'en profite pour me rafraîchir en terrasse.

Je repars pour les 35 derniers kilomètres, mais attention ce n'est pas plat. Le parcours passe dans les côtes de Bordeaux et ça monte et descend pas mal.

Les ultimes kilomètres se font sur les grandes voies urbaines de Bordeaux puis des pistes cyclables et j'arrive au Pont de Pierre.

Bordeaux, 623 km, 17h30

Beaucoup de piétons, beaucoup de cyclistes, beaucoup de voitures, un peu dans tous les sens. Ça fait beaucoup de monde d'un coup ! Je fais un petit tour dans la ville mais je suis fatigué et je vais assez vite à la gare.

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Bordeaux : le pont de pierre

Quand je monte dans le TGV pour rentrer, j'ignore encore que le voyage durera 5h et non 3h... Le TGV s'arrête en effet 2 heures à Poitiers car un TGV précédent a enflammé des broussailles au bord de la voie et il nous faut attendre que les pompiers maîtrisent l'incendie. Avec la SNCF, c'est aussi l'aventure !

Il n'y a donc plus de RER quand j'arrive à Paris. La SNCF paie le taxi aux voyageurs, mais c'est impossible avec mon vélo et je vais donc faire 15 km en vélo de plus pour rentrer à la maison.

Je coupe au plus court mais la côte du Mont Valérien me semble bien plus dure que d'habitude !

Des points que je ne vais pas oublier

Le relief : cette flèche cache bien son jeu. La deuxième moitié est bien plus difficile que la première et pas seulement à cause de la fatigue.

Le soleil : ce sont les deux premiers jours de soleil consécutifs depuis longtemps. Cette exposition brutale m'a fait prendre un coup de soleil sur le nez et aux poignets entre les gants et les manches du maillot.

Thierry Streiff

"Le Cyclotourisme, un art de vivre"