Il ne me reste à faire que des flèches longues. Pour la première de 2013, Paris-Hendaye semble indiqué : le dénivelé est raisonnable.
Dès potron-minet, je pointe au Pied-de-Cochon, et traverse le sud de la banlieue parisienne. Rien à signaler avant le premier pointage boulangerie à Dourdan, le long du château.
J'ai déjà beaucoup roulé sur ce trajet entre la région parisienne et la Loire, le relief plat et le paysage monotone rendent le trajet long. La Fontaine a autrefois expliqué pourquoi la Beauce est plate et le Limousin collineux.
Il gèle sous un pâle soleil qui ne réchauffe rien. L'étape du jour sera longue mais un vent du nord-est doit m'aider. Les cyclos parlent surtout du vent quand il est défavorable (souvent "contraire") et bien plus rarement quand il les pousse. Quand la vitesse moyenne s'élève grâce à un vent favorable, les cyclos évoquent plutôt leur bonne forme. Alors ce matin-là, j'étais en forme.
À Patay, c'est l'heure du petit déjeuner, j'ai le choix entre le café "Française des jeux" et le café "PMU". A notre époque où l'on trouve du cheval partout, je joue placé. Il y a souvent plus de monde dans un bar-PMU : choisir ses chevaux, lire le journal spécialisé, ça prend quand même plus de temps que cocher six cases sur une grille.
Je mange tôt à Beaugency. En repartant, je prends vers l'ouest sur la rive droite de la Loire et me rend compte de mon erreur après deux kilomètres. Non seulement j'avais repéré qu'il fallait traverser à Beaugency mais en plus je n'ai pas rallumé le GPS après la pause ! Comme on dit en val de Loire, j'ai tufeau.
Après retour en arrière et traversée de la Loire, le vent devient tourbillonnant, l'Aquilon froid et sec s'enroule autour des nues chaudes et humides venues d'Espagne. J'entre dans le parc de Chambord et vais pointer au guichet du château. Des Québécois font la queue, ça traine : l'informatique semble en panne. Un des Canadiens demande à l'employée si les ordinateurs datent aussi de François 1er. Personne ne sera surpris d'apprendre que ça n'accélère en rien le mouvement. Après pointage, je fais le tour du château en vélo via le parc, ça fait même un petit raccourci.
À partir de la traversée du Cher, j'ai tracé un parcours sur des petites routes pour éviter la route "rouge" toute droite passant par Valençay. La pluie arrive et ne s'arrête plus jusqu'à l'arrivée, donc j'arrive à Châteauroux bien mouillé.
Avant de monter sur le vélo, graissage obligatoire de la chaine, rincée par la pluie de la veille. Cela deviendra malheureusement un rituel quotidien.
Il fait gris et humide, et après quelques kilomètres, une pluie tenace s'installe mais au début je suis en forme (voir plus haut). J'ai prévu une étape plus courte pour compenser celle de la veille.
Le début du parcours longe l'A20 et il faut être vigilant car à chaque carrefour, la route principale ramène sur l'autoroute. Les bosses arrivent après 20 km : la traversée du Limousin du nord au sud coupe toutes les vallées car les cours d'eau vont vers l'ouest, et cela induit de longues descentes suivies de non moins longues montées.
Mon téléphone refuse de prendre des photos de paysages, sans doute à cause de la buée qui le rend myope. J'assiste ainsi à la défaite de la haute technologie coréenne face à la pluie berrichonne puis face à l'humidité limousine.
J'arrive à Saint-Benoît-du-Sault à l'heure du marché. Je pointe le BCN de l'Indre (36) à l'Office du Tourisme. C'est un des "Plus beaux villages de France", mais ce n'est pas très riant sous la pluie. En fait, le village s'apprécie mieux de la vallée, au bord d'une rivière au doux nom de Portefeuille. Les routes deviennent très granuleuses et ondulées, le Berry laisse la place au Limousin.
A Châteauponsac, je veux pointer le BCN de la Haute-Vienne (87), mais c'est un samedi à l'heure du déjeuner : pas un piéton pour oser braver la pluie, pas un commerce ouvert. Je finis par trouver un café PMU. Au bar, un groupe d'hommes en kaki discutent bruyamment de la fois où l'un d'eux "en avait eu une grosse comme ça". Je n'arrive toutefois pas à savoir s'ils sont chasseurs ou pêcheurs.
En contrebas de la ville, dans une vallée profonde, gronde la Gartempe, noire rivière en crue, franchie par un joli pont romain aux pierres trop propres pour son âge.
Quelques bosses plus loin, je traverse le lac de Saint-Pardoux, qui évoque le Loch Ness sous ce ciel si gris si bas.
Je me souviens avoir lu que ce lac de plus de 300 hectares est radioactif, un peu de manière naturelle et beaucoup à cause des exhaures des anciennes mines d'uranium.
Je suis content d'arriver à Limoges, une étape est toujours trop longue quand il pleut toute la journée.
Après le graissage rituel de ma chaine, je pars un peu plus tard car il y a eu changement d'heure dans la nuit et j'aime autant rouler le jour. Il fait beau mais froid, il faut du temps pour sortir de Limoges, c'est une ville bien bosselée mais qui mérite une mention pour ses nombreuses pistes cyclables.
Après une longue descente vers Aixe-sur-Vienne, pointage et longue remontée pour atteindre le point culminant de la flèche : 448 m. Peu après, je suis dépassé par un petit peloton de cyclos très rapides, les mâchoires serrées (pas de bonjours), vélos ultralégers. Equipe pro ? Non, FFCT : ils n'ont pas de sponsors sur leurs maillots.
Pause banane devant le donjon des Cars (pas de gui mais du lierre...), qui n'a pas été construit pas Gaston Phébus...
Je fais la queue dans une boulangerie à La Coquille : c'est Pâques, et tout le monde veut du pain et des chocolats (alors que moi c'est des pains au chocolat). Conversation amusante entre la vendeuse et un monsieur âgé un peu sourd. Le monsieur veut absolument savoir de quoi le père de la vendeuse doit être opéré et la vendeuse ne veut pas le dire, s'agissant d'un endroit "privé". Le monsieur insistant et parlant très fort, tout le monde finira par le savoir.
Une longue descente marque la fin du Limousin, j'entre dans le Périgord Blanc à Saint-Pardoux-la-Rivière (après Saint-Pardoux le lac hier). La rivière, c'est la Dronne, qu'on descend agréablement, d'autant plus qu'il fait maintenant grand soleil. Je suis rattrapé par trois cyclos sympas du club de Nontron qui m'accompagnent jusqu'à Brantôme. De telles interactions avec les cyclos locaux sont trop rares, les groupes du dimanche que je vois étant souvent très pressés.
À Brantôme, la "Venise du Périgord", je pointe le BCN de la Dordogne (24) et déjeune au soleil à une terrasse de café au bord de la Dronne... petit moment de félicité.
Malheureusement, un groupe de motos se rassemble bruyamment à dix mètres de l'abbaye, le charme est rompu.
Plus en aval, je passe à Bourdeilles (Bordelha en occitan) où cohabitent joliment au bord de la Rivière un donjon médiéval et un château renaissance.
À Tocane-Saint-Apre, une course cycliste barre la route, le détour serait énorme, j'obtiens le droit de passage contre la promesse de me mettre sur le bas-côté quand les coureurs passeront.
Une belle montée et une belle descente vers Saint-Astier me permettent de changer de vallée : je longe maintenant l'Isle, en crue.
À Mussidan c'est le vide-grenier annuel, il y a des voitures partout, mais rien d'ouvert. Je fais mon premier pointage de flèche via photo, nouveauté permise depuis 2013 par le règlement des Flèches de France.
Une belle montée et une belle descente vers Sainte-Foy-la-Grande me permettent de changer de vallée : je longe maintenant la Dordogne, en crue. Puis encore une rude côte pour aller pointer le BCN du Lot-et-Garonne (47) en haut de la colline de Duras (pas de marguerites mais des pâquerettes...).
Je crois que c'est fini mais... une belle montée et une belle descente vers Marmande me permettent de changer de vallée : je suis maintenant au bord de la Garonne, en crue.
Un jour orangé se lève, plutôt bon signe, mais la météo annonce un fort vent d'ouest amenant de la pluie. Je traverse la plaine de la Garonne au milieu des vergers.
Après la traversée du canal latéral à la Garonne (qui prolonge le canal du Midi jusqu'à Bordeaux), ça monte tout de suite pour culminer au lieu-dit Cucumont, nom qui aurait bien plu à Daudet.
Je pointe le BCN de la Gironde (33) à Bazas, pays où l'on aime les brunes, surtout bien en chair. En effet, la sombre race bovine du Bazadais (nom de la région de Bazas) tente de contester la domination de la pâle blonde d'Aquitaine. J'essaie de prendre une photo de ces miss locales, mais elles restent timidement au fond de leurs près.
Je me rattrape par une photo de la cathédrale, mais la lumière grise rend tout un peu triste et il commence à pleuvoir. Je maintiens le moral avec l'absorption d'un pain au chcolat plus grand que ma main.
J'arrive doucement dans les Landes, ça devient plat mais le vent d'ouest forcit et la pluie arrive. Mon espoir d'être protégé par les arbres est déçu : l'ouragan Klaus a été le bourreau de la forêt landaise, et les exploitants ont souvent préféré tout arracher, laissant de grands espaces de terre nue, constellés d'énormes trous.
À Sabres, je mange rapidement et je vais pointer le BCN des Landes (40) à la gare du petit train de l'Ecomusée des Landes. Je dis à la dame du guichet que j'ai visité le musée quand j'étais petit il y a 25 ans, en fait après re-calcul c'était il y a 35 ans ! En sortant de Sabres c'est la tempête, je suis dans une machine à laver. La droite de la route est effondrée par le passage des engins forestiers et cela forme une longue piscine et je dois donc rouler au milieu de la route. À quelques reprises, je m'arrête car je ne vois plus rien et les fortes bourrasques me baladent sur toute la largeur de la route.
En arrivant à Dax, je suis lessivé dans tous les sens du terme. Jour après jour, je suis devenu expert en construction de séchoirs à linge en utilisant les ressources disponibles dans les chambres d'hôtel.
C'est une petite étape car je dois reprendre le train pour Paris dans l'après-midi. Je mets le nez dehors, pour savoir si je m'habille contre le froid ou contre la pluie. En fait il fait froid et il pleut à la fois.
C'est un jour de semaine après un pont de trois jours et il y a beaucoup de circulation. Les camions se pressent pour aller remplir les rayons des supermarchés, vidés par les agapes pascales. Je traverse l'Adour trois fois en descendant vers le sud, le fleuve est en crue et on peut voir des tables de pique-nique et des jeux d'enfants émergeant au milieu du fleuve.
La météo est un peu meilleure qu'hier, mais la progression n'est pas plus facile ; j'avais hier la pluie et le vent, aujourd'hui s'ajoutent les côtes et les camions. Il est impossible d'enrouler sur les petites routes basques, des descentes et des montées courtes et raides s'enchainent, et il n'est pas rare que la pente dépasse 10%. Après la traversée d'Hasparren (que de camions !), je contourne le mont Ursaya (que de vent !) pour arriver à Louhossoa (que de pluie !).
Là, je dois pointer avant de repartir plein ouest. Je ne vois aucun commerce dans le bourg, désert sous une pluie fine. En fait, le bar est caché dans une petite rue (suivre le panneau "Trinquet", qui indique la salle pour jouer à la pelote basque) et la boulangerie est en dehors du bourg sur la route de Saint-Jean-Pied-de-Port.
On se pèle à Espelette, et ça coule au col de Pinodieta. Il pleut toujours dans la descente en longeant l'Armayako Erreka vers Ainhoa. Au pied du col de Saint-Ignace, des panneaux annoncent le profil comme dans les grands cols des Alpes, mais ce col reste d'un dénivelé et d'une longueur très modeste. En haut du col, c'est le départ du petit train à crémaillère qui monte à la Rhune à 900 mètres, le "Mont-Blanc" local (qui ne se monte pas en vélo, il n'y a pas de route).
À Ascain, je pointe le BCN des Pyrénées Atlantiques (64) et je m'arrête pour manger face au soleil qui apparaît pour la 1ère fois de la journée dans une trouée temporaire des nuages. Normalement les difficultés sont finies, mais il reste encore une longue montée de 3 km sur la N10 au milieu des voitures et des camions, et c'est enfin la descente vers l'embouchure de la Bidassoa.
De l'autre côté du port, c'est l'Espagne. Je fais un petit tour et j'achète des gâteaux basques pour la famille (je mange les miens tout de suite) avant de prendre le train.
Cette flèche est longue mais assez facile, le Limousin et les Pyrénées n'étant qu'effleurés. Les paysages sont variés mais sans temps fort.
Je retiendrai le temps épouvantable trois jours sur cinq où mes atouts principaux ont été les sur-chaussures, le sur-casque et la burette d'huile pour la chaîne...
"Le Cyclotourisme, un art de vivre" |
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