LE PARIS - BREST - PARIS D'HERVÉ |
Présentement, Hervé scrutait l'horizon, une habitude chez lui.
Et ce qu'il voyait n'était pas bon.
Bien sur, le paysage lui plaisait, cette région de collines entre Maine et Bretagne est verdoyante, riche, variée, vallonnée à souhait, parfois même pittoresque. Il aimait l'endroit, propice à la randonnée cycliste.
Mais ce qu'il voyait à l'horizon n'était pas bon.
Bien sur, Hervé appréciait ces encouragements lancés par de fervents spectateurs. Des jeunes, parfois même très jeunes, d'autres moins jeunes voire beaucoup moins jeunes applaudissaient inlassablement au passage des cyclos, tendaient la main pour une tape amicale avec un héros inconnu. Bien sur, à l'image des centaines d'autres randonneurs participant à ce 16ème Paris-Brest-Paris, Hervé était très sensible à la chaleur de ce public, posté depuis des heures à regarder passer tous ces fiers cyclistes, certains juchés sur de bien drôles de machines, ressemblant plus à une fusée qu'à un vélo.
Hélas ce qu'il voyait à l'horizon n'était pas bon, mais pas bon du tout !
Ce qu'Hervé voyait, au delà des collines, c'était l'avenir...l'avenir de sa randonnée, son avenir à lui, celui aussi de ses centaines de compagnons de route. Un avenir composé de gros nuages gris, tous prêts à déverser leur inépuisable contenu.
Or, cet avenir ressemblait à s'y méprendre...au passé. Et ce passé c'était...la pluie. La pluie dans la traversée de Versailles pour se rendre au départ, la pluie sur l'aire d'attente à Guyancourt, l'averse au moment du coup de pistolet du départ, les trombes d'eau en arrivant à Mortagne.
Prisonnier de cette symphonie en Eau Majeur, Hervé maugréait, trompé, trahi par cette adversité empreinte de méchanceté.
Hervé n'a jamais aimé rouler sous la pluie. L'expérience aidant, cette aversion s'est petit à petit mutée en phobie, en torture.
Parfois, quant la pluie cessait, notre cyclo s'arrêtait " débâcher " (il est un utilisateur inconditionnel de la pèlerine). Mais quelques kilomètres plus loin la bruine faisait son apparition, d'abord légère, puis de plus en plus dense, de plus en plus mouillante...Il fallait alors " re bâcher "...et ainsi de suite.
Maillot humide, pieds mouillés, Hervé continuait de pédaler. Un froid insidieux l'envahissait petit à petit. La suite des événements lui faisait peur, car il connaissait l'enchaînement humidité-froid-fatigue-douleurs-complications-tendinites. Une épreuve redoutable, inutile, face à laquelle il ne se sentait pas de taille. Une pensée dorénavant l'obsédait, quitter cette aventure dont il ne voulait plus.
Du côté de Lassay les Châteaux, Hervé, écœuré, avait même dit à Claire, en compagnie de laquelle il roulait depuis une cinquantaine de km, " si on se prend une nouvelle averse avant Fougères, j'abandonne ".
Impensable parole d'un prétendu chevronné à une soi-disant néophyte !
Comme encouragement il aurait pu trouver mieux !
Bref, sur cette route entre Villaines la Juhel et Fougères, Hervé avait pris sa décision. Il avait besoin de sortir au plus vite de ce giron maléfique.
Alors, comme l'exige le règlement, au contrôle de Fougères, il remit son carnet de route aux organisateurs...Il venait d'abandonner !
Plus apaisé que déçu, il souhaita bonne route aux courageuses Claire et Gwenaëlle, prit le temps d'avaler un repas chaud, tout en discutant avec des cyclos venus de l'autre bout du monde.
Il rencontra de nombreux visages connus, participants ou accompagnateurs, croisa Joël et Henri qui reprenaient la route profitant d'une éclaircie, retrouva Claude, qui comme lui venait d'abandonner, et qui, comme lui, curieux destin, est natif de Fougères !
Les deux compères, ensemble prirent le train qui les ramènerait à Paris, ensemble virent des trombes d'eau continuer de s'abattre, ensemble plaignirent les héroïques participants à ce PBP, ensemble crièrent OUF dans un grand éclat de rire, trop heureux d'avoir échappé au massacre. Ils avaient sagement quitté la séance, le spectacle n'étant pas celui annoncé. Leur PBP était désormais placé au rang des souvenirs.
Après une bonne nuit de repos, Claude et Hervé se retrouvèrent à Saint Quentin en Yvelines, pour applaudir les premiers arrivants de cette épopée.
Hervé Thomas
"Le Cyclotourisme, un art de vivre" |
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